• Commencement d'une illusion

     

    Commencement d'une illusion

    Il pleut ; la brume est épaissie ;
    Voici novembre et ses rougeurs
    Et l'hiver, effroyable scie
    Que Dieu nous fait, à nous songeurs.

    L'abeille errait, l'aube était large,
    L'oiseau jetait de petits cris,
    Les moucherons sonnaient la charge
    A l'assaut des rosiers fleuris,

    C'était charmant. Adieu ces fêtes,
    Adieu la joie, adieu l'été,
    Adieu le tumulte des têtes
    Dans le rire et dans la clarté !

    Adieu les bois où le vent lutte,
    Où Jean, dénicheur de moineaux,
    Jouait aussi bien de la flûte
    Qu'un grec de l'île de Tinos !

    Il faut rentrer dans la grand’ ville
    Qu'Alceste laissait à Henri,
    Où la foule encor serait vile
    Si Voltaire n'avait pas ri.

    Noir Paris ! Tas de pierre morne
    Qui, sans Molière et Rabelais,
    Ne serait encor qu'une borne
    Portant la chaîne des palais !

    Il faut rentrer au labyrinthe
    Des pas, des carrefours, des mœurs,
    Où l'on sent une sombre crainte
    Dans l'immensité des rumeurs.

    Je regarderai ma voisine,
    Puisque je n'ai plus d'autre fleur,
    Sa vitre vague où se dessine
    Son profil, divin de pâleur,

    Son réchaud où s'enfle la crème,
    Sa voix qui dit encor maman ;
    Gare ! C’est le seuil d'un poème,
    C'est presque le bord d'un roman.

    Ma voisine est une ouvrière
    Au front de neige, aux dents d'émail,
    Qu'on voit tous les soirs en prière
    Et tous les matins au travail.

    Cet ange ignore que j'existe
    Et, laissant errer son œil noir,
    Sans le savoir, me rend très triste
    Et très joyeux sans le vouloir.

    Elle est propre, douce, fidèle,
    Et tient de Dieu, qui la bénit,
    Des simplicités d'hirondelle
    Qui ne sait que bâtir


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