• Contes d'Henri Gougaud

    3 pages de contes et de citations

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    L’enfant de la neige

    Il était une fois un vieil homme fourbu dans un village pauvre. Devant sa maison au toit lourd, le vent, la neige, la montagne. Plus un grain de maïs, plus un sou dans les poches, plus rien dans le garde-manger, que des restes de pain rassis, mais il ne s'en souciait guère, il n'espérait pas le printemps. Il était résigné à s'en aller sans bruit avant les primevères au royaume des nuits sans rêves. Or, un jour qu'il « faisait du bois », comme on dit chez les vieilles gens, dans la forêt déshabillée qui escaladait la colline, voilà qu'il rencontra quelqu'un. Un enfant. Huit, dix ans peut-être, maigre comme une branche oubliée de son arbre, vêtu de trous, chaussé de rien, et les yeux tout à coup contemplant un miracle quand il vit se pencher sur lui ce grand-père aux sourcils froncés.

    - Que fais-tu là? Tu es perdu ? lui demanda le vieux, perplexe.

    L'enfant grelottait tant qu'il ne put lui répondre.

    - Et d'où viens-tu, pauvre petit?

    L'autre, d'un geste, désigna l'au-delà des nuages bas.

    - Je vois, marmonna le vieil homme. Sacré bon sang, ça fait bien loin. Et tes parents, dis-moi, où sont-ils, tes parents?

    L'enfant se tut, baissa le front. Une colère de bon cœur échauffa soudain le vieil homme. Il maudit Dieu qui, sans pitié, abandonnait ses créatures aux famines, aux guerres sans fin, aux errances désespérées, puis (que pouvait- il faire d'autre ?) il prit le petit par la main, le mena jusqu'à sa maison, ranima, dans sa cheminée, les trois bûches qui somnolaient, couvrit le dos du rescapé de son unique couverture et lui offrit un bol de tisane d'anis, «Et maintenant, se dit le vieux, va falloir le ravigoter.» Il observa le maigrichon qui chauffait ses mains à son bol et soufflait sur l'eau parfumée qui lui embrumait la figure.

    - Tu comprends le français? demanda le vieil homme.

    L'enfant lui répondit:

    - J'ai faim.

    - Moi aussi, dit le vieux. Je vais aller fouiner sous les arbres du bois, j'y trouverai peut être un ou deux oiseaux morts. Je ne crois pas en Dieu, mais il ne m'en veut pas, par fois il vient quand même à l'aide. S'il veut, ce soir, nous dînerons. S'il ne veut pas, eh bien tant pis, nous grignoterons des histoires.

    Le vieil homme sortit et revint la nuit avec une alouette maigre. Mais dès le lendemain, l'hiver se fit terrible. Le vieux eut beau cherche quelque chose à rôtir, il n'eut bientôt plus que des contes pour nourrir le petit trouvé. Il ne pouvait perdre courage. Qu'il meure, lui, peu importait. « Mais le gamin! se disait-il. Mourir de misère, à son âge, cela devrait être interdit! » Alors il rassemblait ses forces, il jouait le vieux sans souci. Il disait:

    - Assieds-toi. Écoute.

    Le petit se pelotonnait devant le feu, contre le grand-père et regardait les flammes hautes tandis que les mots s'égrenaient.

    - C'était à Bethléem, à l'aube de ce jour qui changea les couleurs du monde. Tout au long de la nuit, les rois mages d'abord, puis les bergers au dos courbé, le chapeau contre la poitrine, avaient défilé dans l'étable pour contempler de près le miracle accompli, l'enfant paisible dans la paille, l'improbable Sauveur plus démuni qu'eux- mêmes. Tous avaient déposé alentour du berceau quelques cadeaux de bienvenue, des babioles, des presque rien. Ils étaient, mon garçon, aussi pauvres que toi. Ils s'en étaient tous retournés à leurs travaux, à leurs chemins. « Enfin, se dit maman Marie dans l'étable à nouveau déserte, le petit va pouvoir dormir.» Mais comme

    elle soupirait, contente, voilà que le portail grinça. Une vieille apparut dans l'ombre et s'avança. Marie ne put voir son visage, un capuchon le lui cachait. Elle leva le front, soudain en alerte. Et si c'était (que Dieu nous garde!) une de ces fées maléfiques qui viennent parfois se pencher sur les enfants miraculeux? L’âne et le bœuf, pourtant, la regardaient venir sans marquer la moindre surprise, comme s'ils ne connaissaient qu'elle depuis des temps immémoriaux. La vieille se pencha au bord du lit de paille. Jésus ne dormait pas et ses yeux grands ouverts contemplèrent le vieux visage où brillait un regard semblable à celui de l'enfant nouveau. Même tranquillité, même bonheur secret, même espérance simple. Ils se regardèrent un moment, puis la vieille plongea sa main dans ses haillons et parut chercher quelque chose qu'elle mit bien du temps à trouver. Entre ses doigts noueux enfin apparut un objet ombreux. Elle le tendit au tout petit. Après les trésors des Rois mages et les modestes offrandes des bergers, quel était ce nouveau cadeau? Était-il au moins sans danger ? Et s'il était empoisonné? Marie, d'où elle était, ne pouvait pas le voir, la vieille lui tournait le dos. Elle regarda l'âne et le bœuf. Ils avaient l'air plutôt tranquilles, bienveillants, même pas surpris. Quand enfin elle se releva, elle n'avait plus ces gestes lents des vieillards accablés par l'âge. Son échine n'était plus courbe, sa tête ne lui pesait plus, elle était haute, elle souriait comme une femme de bel âge que son époux attend, dehors. Elle sortit dans le jour naissant. Alors Marie put voir la chose dans les mains de l'enfant tout neuf, et son regard s'emplit de larmes, non pas de chagrin, mais de joie. C'était un fruit qu'il tenait là, pas une pomme, mais La pomme, la pomme du premier péché qu'Ève venait de lui remettre afin qu'il lui soit pardonné. Et Jésus la tendit au soleil revenu comme on offre le monde aux enfants à venir.

    - L'histoire est finie, dit le vieux. L'histoire que je viens de dire, et peut-être la nôtre aussi. Hier encore on trouvait des oiseaux morts de froid dans les ronciers du bois. Aujourd'hui la neige les mange à peine tombés de leur nid. Elle crève de faim, elle aussi ! Il poussa une bûche au feu. Il dit encore: - Sacrénom, je ne peux tout de même pas t'envoyer chez Gripet le diable!

    Monsieur Gripet, c'était le richard du village. Il avait commencé meunier, puis à moudre le grain des autres. Comme il était le seul à fariner le blé dans ce pauvre pays, en quelques années fastes, il avait fait fortune. Il s'était mis alors au service du diable. C'était du moins ce qu'on

    disait. De fait, il acceptait de prêter de son or à qui venait tendre la main à la porte de son moulin contre une signature et trois gouttes de sang au bas d'un parchemin. Inutile d'en dire plus. Pour vivre à peu près décemment quand on n'avait plus rien en poche, il fallait promettre son âme au patron de monsieur Gripet. Le grand-père savait cela. C'est pourquoi, à tout prendre, il préférait mourir que d'aller mendier chez l'infernal bonhomme. Mais à mourir un peu chaque jour que Dieu fait, on finit les yeux blancs et la langue dehors. Vint le soir de Noël. Le vieux dit à l'enfant:

    - Je t'aime, mon petit, et je veux que tu vives. C'est décidé. Va chez Gripet. Voici venue la nuit où Jésus Christ est né. Confiance en lui, mon fils. Peut-être nous aidera-t-il à traverser les mauvais jours. J'irais volontiers à ta place, si mes pattes voulaient marcher, mais elles ne sont plus bonnes à rien. C'était vrai, il n'en pouvait plus. Le moindre coup de vent l'aurait jeté par terre.

    L’enfant s'en fut donc au moulin. Contre la bourrasque glacée, le front bas, les poings à son col,

    il parvint au village aux ruelles désertes. Volets fermés, dehors, personne, pas même un chien, pas même un rat. Après les dernières maisons, la rivière et le beau moulin. Gripet, de sa lucarne, le regarda venir, de loin, sur le chemin. Il se frotta les mains, ricana, l'œil luisant, descendit à

    la porte, ouvrit.

    - Que me veux-tu, gamin?

    L'enfant lui répondit:

    - Mon grand-père se meurt. Il a faim. Moi aussi.

    - Que veux-tu que j'y fasse ? Grinça le malotru. Moi, je ne donne pas, je vends. Donnant-donnant. Retourne d'où tu viens. À te voir si pâle, tu n'es même pas de chez nous.

    Il fit mine de réfléchir, il eut un sourire tordu. Il dit encore:

    - Enfin, mon bon cœur me perdra. Je t'échange ton âme (elle ne vaut rien mais bof) contre un boisseau de blé. Une feuille de parchemin sortie soudain de nulle part se déroula devant son nez.

    - Signe là. Parfait, mon garçon. Maintenant, trois gouttes de sang. Près du seuil un buisson d'épines s'accrochait aux pierres du mur. L'enfant piqua son bout de pouce. Gripet compta:

    - Une, deux, trois. Le meunier ne put dire plus. Derrière le petit trouvé venait d'apparaître une femme. Elle tenait dans ses bras un garçon nouveau-né. Cet enfant se dressa, les deux pieds bien plantés dans les mains de sa mère et dit à voix puissante:

    - Pas de chance pour toi, Gripet, je viens de naître. Va dire à ton patron le diable que je suis désormais partout. Il comprendra. Et maintenant, rends le papier que le petit vient de signer.

    L'autre sentit la chair de poule hérisser sa grosse carcasse. Il tourna les talons en couinant d'épouvante, s'enfuit, tomba dans la rivière, voulut se raccrocher à la roue du moulin qui s'éveilla, geignarde. Elle se mit à tourner, elle le prit par l'épaule, le lança par-dessus les arbres, bras et jambes empêtrés de racines mouillées. Les emmitouflés qui passaient par là sur le chemin de l'église où sonnait l'appel à la messe de minuit en laissèrent tomber leur lanterne dans la neige. Ils le virent ainsi, Gripet le malfaisant, voltigeant par-dessus les toits, environné de flûtes et de violons grinçants qui jouaient seuls dans l'air. Certains même l'ont vu emporté dans la Lune par des chats, des corbeaux et des serpents ailés. Ce qu'il est advenu du vieux et de l'enfant? Il ne faut que le murmurer, comme le faisait ma grand-mère: « Si l'histoire a ouvert la porte de ton cœur, ils vivent chez toi, désormais. » Maintenant bonsoir, je me tais.

    Henri Gougaud

     

    L’enfant de la neige


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  • La complainte des vieux bananiers

     

    Prendre soin de ce qui nourrit, n'est-ce pas la moindre des choses? L'amour, l'attention pour les plantes, pour les légumes du jardin font plus grand bien que l'art savant et l'acharnement à l'ouvrage. Tout est vivant, disait l'ancêtre, la sève, les feuilles, la fleur, tout est sensible et nous entend, même si parfois l'affection ne va pas sans quelque rudesse. Ainsi jadis il arrivait qu'on menace l'arbre, au verger, de redoutables représailles s'il ne donnait pas de bons fruits. “Mon fils, je t'ai bien élevé, disait l'homme au fût du pommier. Si tu ne fais pas ce qu'il faut pour emplir nos paniers de pommes, je te réduis en petit bois”. “Allons, lui répondait la femme, sois bon, il fera de son mieux”. Le pommier tremblait-il ? Sans doute. Les arbres entendaient autrefois tant les mots d'amour des humains que leurs colères et leurs menaces. Ils connaissaient la joie, la peine, la peur, le désespoir aussi.

     

    Ainsi on raconte qu'un jour les habitants de Mavata décidèrent d'abandonner les bananiers de leurs grand'pères. Ils donnaient pourtant de beaux fruits, mais la jeunesse, pensaient-ils, était l'avenir des bananes. Ils plantèrent donc çà et là une troupe d'arbres nouveaux. Ils leur donnèrent leurs mots doux, leur bonne terre, leurs caresses, comme l'on fait aux nourrissons. Les vieux bananiers de famille ? Plus le temps de s'occuper d'eux. On les laissa se racornir, sans souci de leurs rhumatismes.

     

    Or un jour comme un homme au champ, pressentant une pluie prochaine, cherchait comment mettre à l'abri les jeunes plants de son domaine, il entendit des voix gémir :

    - Ahi, papa, tu nous oublies ! L'averse vient, elle va blesser nos fruits verts sur nos vieilles branches. Ne t'avons-nous pas bien servi ? Pourquoi nous laisses-tu souffrir ?

    “ Qui se plaint ainsi ? ” se dit l'homme. Il leva le front, écouta. “Bah, sans doute un enfant perdu qui pleurniche à chercher son père ”. Il se remit à son travail. Les vieux bananiers s'agitèrent. A nouveau la plainte revint.

    - Ahi, papa, voici le vent, le ventre des nuages s'ouvre, pitié pour ceux qui t'ont nourri quand tu tendais ta main menue à nos feuillages bienveillants !

    L'homme à nouveau se redressa, plissa les yeux, pensa : “ Etrange, je connais cette vieille voix ”.

    - Ahi papa, couvre nos fruits, habille-les de feuilles larges, que l'eau ne les abîme pas !

    L'homme s'émut, vint aux ancêtres qui frémissaient sous le ciel bas.

    - Est-ce vous, mes vieux bananiers, que j'entends se plaindre de moi ?

    - Hélas, lui dirent les feuillages, qu'as-tu fait de ton cœur aimant ?

    L'homme tomba le front dans l'herbe, demanda aux arbres pardon, s'en fut couper des feuilles lisses, en vêtit les grappes de fruits. Le conte dit qu'on fait ainsi depuis ce jour inoublié pour aider les bananes vertes à mûrir sans souci majeur.

     

    Certes, on évoque plaisamment ce temps où les plantes parlaient. On croit à des fables naïves. Qui sait ? Peut-être en nos pays se plaignent-elles amèrement de nos distractions assassines. Nous ne savons pas qu'elles nous parlent. Elles crient. Sans doute ignorent-elles que nous sommes devenus sourds. "

     

    (Henri Gougaud)

    Martinique aout 2017


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  • L’arbre

     

    " A l’époque où notre monde n’était pas hérissé de tours, on disait que les arbres étaient les piliers du ciel. On contait aussi qu’aux premiers temps, Dieu vivait à portée de voix humaine. Il suffisait de lever le bras pour le toucher. Après le repas, les hommes s’essuyaient les mains sur le ciel, et il arrivait aux pileuses de mil, si elles levaient trop haut leur pilon au-dessus de leur chevelure, de chatouiller les pieds de Dieu.

    Or un jour, une femme plus grande, plus vigoureuse et plus enthousiaste que les autres faillit ainsi éborgner le Créateur. Du coup, vexé, Dieu s’éloigna de la Terre avec son ciel, et les hommes ne purent plus l’atteindre. Alors ils plantèrent un arbre au centre de leur village. Le premier de tous. Et cet arbre se déploya jusqu’à la nouvelle demeure du Créateur. C’est depuis ce jour que l’arbre est nommé, en Afrique, le messager immobile. Il comble l’espace entre l’homme et son Dieu. A travers l’arbre la sève céleste descend du ciel vers la terre, et la sève terrestre monte de la terre vers le ciel.

    Mais rien n’est simple. On dit aussi que le dieu des nuages cherche de temps en temps à nous le dérober. Il tend ses grandes mains de vent pour essayer de nous l’arracher. Mais l’arbre résiste. Il s’accroche à la terre. Il ne veut pas quitter les hommes. Pourquoi ? Parce qu’il est fidèle. La famille de l’arbre, c’est la pauvre et basse humanité. Il n’en changerait pas pour tous les cieux de l’univers. Et nous, sommes-nous fidèles à l’arbre ? " 

    (Henri Gougaud) 

    Parc de la Légion d'Honneur, Saint Denis, mai 2016 (Renal)


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  • Clé et clou


    " Clé et clou sont des mots parents. De fait, le clou fut la première clé, puis qu’avant l’invention de la serrure on fermait les portes d’un clou passé dans un anneau. Pour le plaisir des mots, que je te dise encore : de clé vient clore (évidemment), mais aussi clavicule, cheville et (saint) conclave, autant de termes exprimant l’idée de fermeture.
    Et voilà qu’au XII° siècle, la clé, « ce qui ferme », prend le sens de « ce qui donne accès, ce qui ouvre » (la clé de sol, la clé de fa, la clé de l’énigme ou des champs). Lumineux glissement de sens ! Il nous rappelle qu’il y a toujours deux façons de voir les choses, l’une ouverte, et l’autre fermée. "
     

    (Henri Gougaud, L'almanach) 

     


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  • Le Roi et la pomme

    « Un jour, un roi de bonne humeur cueillit une pomme au verger. Il la tendit à son esclave. L’autre la prit et la huma, mordit dedans, la dégusta. On aurait dit qu’il savourait un fruit du jardin des délices. Il paraissait en éprouver un si doux et si profond plaisir que l’œil du roi s’en alluma.
    - Tu me fais envie, lui dit-il. Donne-m’en donc une moitié.
    Il la goûta, fit la grimace. Il grogna :
    - Pouah ! Elle est pourrie !
    - Majesté, répondit l’esclave, tu me combles de tant de biens que si ta main me tend un fruit même gâté, il est béni. Je n’ai reçu que des trésors de tes bontés infatigables. Aucun mal ne peut m’en venir.
    Chaque montée de Son chemin, chaque pente, chaque ravine est un cadeau du Tout-Puissant. Il a voulu ces hauts, ces bas. Si cela te paraît absurde, pense à l’esclave de ce roi. Aucun chercheur de vérité n’a jamais pu gagner sans peine le moindre croûton de pain gris. Sois patient, obstiné, pugnace. Sortir du monde est à ce prix. »

    (La conférence des oiseaux, Attar, adapté par Henri Gougaud) 

    Le Roi et la pomme


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  • J'ai entendu cette parabole soufie. Elle parle d'un chercheur de vérité qui gravit patiemment la montagne, celle sur laquelle il espère trouver ce qu'il cherche. La paroi de cette montagne est abrupte, tant abrupte qu'il doit à chaque pas se tailler une marche dans le roc. Et ce roc est de telle sorte que chaque fois qu'il parvient à tailler une marche et à y poser le pied, la précédente s'effondre, si bien que toute retraite lui est à jamais interdite. Il parvient, à bout d'efforts, à la cime de la montagne. Sur sa tête, le vaste ciel. A ses pieds, les brumes de la terre. Et là, sur le sommet, une échelle couchée. L'homme la saisit, la dresse, mais où l'appuyer ? Il n'y a rien au-dessus de lui, que le ciel. L'enfoncer dans le roc ? Impossible. Que faire ? Il réfléchit, il prie peut-être. Il trouve. Il se met debout, il appuie l'échelle contre son dos. Et que se passe-t-il ? Vous avez deviné ? Un ange apparaît, en haut de l'échelle, et descend. Il descend en lui disant, je suppose : " Eh ben dis donc, ce n’est pas trop tôt, depuis le temps que je t'attends ! " Ceci pour vous dire que nous n'avons pas tout le chemin à faire. Nous devons grimper aussi haut que possible, et là, au sommet de nous-mêmes, attendre l'aide. L'ange. "

    (Henri Gougaud, en atelier)

    Le chercheur de vérité

    Mont du Chat Savoie. février 2016


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  • Au temps du choléra……

     

    Au temps du choléra et de la peste noire, les gens chargés du soin du peuple avaient fait afficher aux portes des églises ce qu’il fallait savoir pour combattre le mal. Personne ne lisait ces circulaires tristes. Un jour vint à un vieux libraire l’idée de les écrire en vers. Du coup on les apprit, on les chanta partout, et le malheur fut moins rude. Sachez que pour ces gens la poésie était le plus haut bien du monde. Elle pouvait effrayer la mort. La preuve en est dans cette histoire :

    Près d’Elliant, un jour, un meunier rencontra une fille au bord d’une rivière. Elle était vêtue de lin blanc et contemplait obstinément le village sur l’autre rive. Quand elle vit le garçon elle vint à son cheval.

    - Bel homme, dit-elle, je veux traverser, mais je crains de mouiller ma robe.

    - Belle fille, montez en croupe.

    Le meunier lui tendit la main, la déposa devant Elliant. Dès qu’elle eut mis le pied par terre, la mine fière, l’œil brillant :

    - Bel homme, on m’appelle la Peste. Ma sœur la Mort emportera tous les gens que je toucherai. Mais toi qui m’as rendu service, Dieu te gardera du trépas.

    La Peste, comme elle l’avait dit, coucha plus de morts qu’une guerre. Et de sa rencontre avec elle le meunier fit une chanson. On chanta la Peste d’Elliant. La beauté du chant lui fit honte. La tête basse, elle s’en alla. Car il est vrai, mille fois vrai que le chant des hommes est plus fort que les trois pires maux du monde : le feu, la tempête et la peur.

    (Henri Gougaud, L'Almanach)

     

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  • Yamamba

    Deux voyageurs dans la forêt piétinaient les hautes fougères. Ils ont du mal à cheminer. Il est midi mais le sous-bois ne veut rien savoir du soleil. Pour l’un, qu’importe, il est aveugle. Son compagnon lui tient le bras. Il le guide, tant bien que mal. Son œil est l’affût de tout, il frémit dès qu’un buisson tremble, car quelque part dans ces fourrés, il en est sûr, quelqu’un les guette. On l’a prévenu à l’auberge. Ces branches basses, sont hantées par une sorcière, la massacrante, l’horrifique, l’abominable Yamamba. Sa bouche est un four embrasé, son nez un monstrueux bec d’aigle. De ses yeux ronds comme des roues ruisselle du sang enflammé. Sa langue pend jusqu’à  ses cuisses, elle s’en sert comme d’un battoir. Au bout de ses bras décharnés, des mains, croyez-vous ? Non des griffes.

    -      Mon frère dit l’aveugle, as-tu mal aux genoux ? Je te sens

    grelotter. Parle-moi, tu m’inquiète.

    L’autre ne peut le moindre mot, la terreur pétrifie ses membres. Yamamba, répugnante énorme, vient de sortir, là du brouillard, il la voit, aussi vraie que lui, elle s’approche, elle leur vient dessus.

    Ces lèvres sont comme une plaie, elles se tordent, son regard bave, ses cheveux font fuir les oiseaux, ses pieds écrasent les buissons, elle n’est plus qu’à dix pas devant.

    -      Qu’elle fièvre te tient mon frère ? dit le compagnon sans

    regard. Quel mal sournois ronge tes os ? Décidément, tu n’es pas bien. Je suis aveugle, mais qu’importe, je ne perdrai pas le chemin. Appuie-toi sur moi, je te guide, c’est bine mon tour. Prends mon bâton.

    L’infirme entraîne son compère. Ils marchent droit sur Yamanba. Elle paraît surprise un instant, ravale sa langue, grimace, crache des cendres et des fumées. Le voyageur aux yeux fermés ne s’arrête ni ne recule. Alors elle se défait en lambeaux misérables parmi les arbres indifférents.

     

    « Quand vient un monstre sur ta route ou quand tu imagines sombre un temps pas encore accouché, ce n’est pas la vie que tu vois, c’est le théâtre de ta peur. Alors ferme les yeux et ris de ta panique, ou résiste, car elle fait de toi un enfant effrayé par l’ombre d’un loup sur un rideau de saltimbanque. »

     

    (Extrait du livre « Les voyageurs de l’aube » de Henri Gougaud.)

     

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  • Les deux qui ne s’aimaient pas

    Un prince, un beau matin, s’en fut baguenauder au marché de la ville avec, pour tout bagage, un sac à provisions. Il aimait se frotter aux gens de son royaume, écouter leurs propos, soupeser les pastèques et flairer les salades. Il avait donc laissé son escorte chez lui et, l’oreille aux aguets, il allait çà et là parmi les étalages quand un bruit de dispute attira son regard.

    - C’est à moi ! disait l’un.

    - Non, à moi ! disait l’autre.

    - J’ai le droit !

    - Moi aussi !

    - Mauvais bougre !

    - Bandit ! Bref, deux marchands de fruits s’insultaient hardiment en brandissant leurs poings à l’ombre d’un platane. Le prince vint à eux, en arbitre apaisant. L’un lui rugit au nez :

    - Il veut plus que sa part !

    - C’est la mienne qu’il veut ! Lui brailla son compère. Le peuple s’attroupa, les gendarmes survinrent et le prince, pensif, s’en revint au palais.

    Il était fin joueur autant que pédagogue. Le lendemain matin il se fit amener les deux disputailleurs et leur tint ce discours :

    - Il me plaît de vous faire une grande faveur. Que voulez-vous, messieurs

    J’ai tout. Demandez donc, et vous serez comblés. J’aimerais cependant préciser ce qui suit : pour formuler un vœu

    , vous avez vingt secondes. Au-delà de ce temps, si vous restez muets, je vous ferai jeter tous les deux en prison.

    Enfin notez ceci : le premier choisira, trésors, terres, châteaux, bref tout ce qu’il voudra, et le deuxième aura la même chose en double. Avez-vous bien compris ? Parlez, je vous écoute.

    « Je me tais, se dit l’un. Deux fois plus qu’il n’aura, voilà qui me plairait ! » « Qu’il fasse sa demande, pensa l’autre. Que ce prétentieux-là soit plus riche que moi m’insupporterait trop. » « Mon Dieu, supplia l’un, que le bonheur le tue si je parle d’abord. » Passèrent dix secondes, et douze, et quinze et seize.

    Le regard du second enfin s’illumina. Il ricana :

    - Seigneur, qu’on m’arrache l’œil droit.

    On le fit à l’instant. Un borgne et un aveugle, au soleil de midi, sortirent du palais.

     

    (Henri Gougaud)

    (Site : www.henrigougaud.com)

     

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  • Dans le désert

     

    Une fille, perdue dans le désert. Belle. Un fils de roi, lui-même égaré au cours d'une partie de chasse, la rencontre. Sa beauté émerveille le jeune homme. Il lui offre sa monture, la conduit dans son palais, l'épouse. Il la comble de cadeaux, bijoux incomparables, diamants parfaits, coffres précieux. Elle fait la moue. Elle les repousse. " J'aurais préféré, dit-elle, un bol d'eau fraîche, une grappe de raisin, une poignée de dattes. " Son époux s'étonne, se fâche. " Tu ne me comprends pas, cher homme ? Écoute donc. Je fus jadis la fille d'un roi qui régna sur une cité puissante et prospère. Le commerce fit sa fortune. Notre ville était la plus heureuse des haltes sur la route des caravanes. Un jour, elles cessèrent de venir chez nous, attirées par d'autres chemins, d'autres cités, d'autres mirages. Le vent de sable est venu. Ma famille est morte de faim, dans son palais de marbre blanc, sous des monceaux d'or inutiles.

    Il arrive pareillement que l'on puisse crever de froid sous des montagnes de savoir.

     

     Henri Gougaud extrait de conte cueilli au «Rire de la grenouille »

    http://www.henrigougaud.info

    Dune Pyla (8)

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