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Contes d'Henri Gougaud : Yamamba
Yamamba
Deux voyageurs dans la forêt piétinaient les hautes fougères. Ils ont du mal à cheminer. Il est midi mais le sous-bois ne veut rien savoir du soleil. Pour l’un, qu’importe, il est aveugle. Son compagnon lui tient le bras. Il le guide, tant bien que mal. Son œil est l’affût de tout, il frémit dès qu’un buisson tremble, car quelque part dans ces fourrés, il en est sûr, quelqu’un les guette. On l’a prévenu à l’auberge. Ces branches basses, sont hantées par une sorcière, la massacrante, l’horrifique, l’abominable Yamamba. Sa bouche est un four embrasé, son nez un monstrueux bec d’aigle. De ses yeux ronds comme des roues ruisselle du sang enflammé. Sa langue pend jusqu’à ses cuisses, elle s’en sert comme d’un battoir. Au bout de ses bras décharnés, des mains, croyez-vous ? Non des griffes.
- Mon frère dit l’aveugle, as-tu mal aux genoux ? Je te sens
grelotter. Parle-moi, tu m’inquiète.
L’autre ne peut le moindre mot, la terreur pétrifie ses membres. Yamamba, répugnante énorme, vient de sortir, là du brouillard, il la voit, aussi vraie que lui, elle s’approche, elle leur vient dessus.
Ces lèvres sont comme une plaie, elles se tordent, son regard bave, ses cheveux font fuir les oiseaux, ses pieds écrasent les buissons, elle n’est plus qu’à dix pas devant.
- Qu’elle fièvre te tient mon frère ? dit le compagnon sans
regard. Quel mal sournois ronge tes os ? Décidément, tu n’es pas bien. Je suis aveugle, mais qu’importe, je ne perdrai pas le chemin. Appuie-toi sur moi, je te guide, c’est bine mon tour. Prends mon bâton.
L’infirme entraîne son compère. Ils marchent droit sur Yamanba. Elle paraît surprise un instant, ravale sa langue, grimace, crache des cendres et des fumées. Le voyageur aux yeux fermés ne s’arrête ni ne recule. Alors elle se défait en lambeaux misérables parmi les arbres indifférents.
« Quand vient un monstre sur ta route ou quand tu imagines sombre un temps pas encore accouché, ce n’est pas la vie que tu vois, c’est le théâtre de ta peur. Alors ferme les yeux et ris de ta panique, ou résiste, car elle fait de toi un enfant effrayé par l’ombre d’un loup sur un rideau de saltimbanque. »
(Extrait du livre « Les voyageurs de l’aube » de Henri Gougaud.)
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Commentaires
1PestouneSamedi 9 Janvier 2016 à 13:10Belle leçon. Il faut parfois pouvoir s'isoler de ses sens pour continuer. Les sens ne nous donnent qu'un aspect des choses et pas la globalité. C'est avec le coeur qu'il faut ressentir et souvent les obstacles sont moins importants qu'ils n'y paraissaient de prime abord. Bonne après midi RenalRépondre-
renalSamedi 9 Janvier 2016 à 13:44
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