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CONTES d'Henri Gougaud Le fleuve ou le désert
Le fleuve ou le désert
II était une fois un vieux fleuve perdu dans les sables du désert. Il était descendu d'une haute montagne qui se confondait maintenant avec le bleu du ciel. Il avait traversé des forêts, des plaines, des villes, vivace, bondissant, puis large, fier et noble. Quel mauvais sort l'avait conduit à s'enliser parmi ces dunes où n'était plus aucun chemin ? Où aller désormais, et comment franchir ces espaces brûlés qui semblaient infinis ? Il l'ignorait, et se désespérait.
Or, comme il perdait courage, lui vint des sables une voix qui lui dit : « Le vent traverse le désert. Le fleuve peut en faire autant ». Il répondit qu'il ne savait pas voler, comme faisait le vent. « Fais donc confiance aux brises, aux grands souffles qui vont, dit encore la voix. Laisse-toi absorber et emporter au loin ». Faire confiance à l'air hasardeux, impalpable ?
Il ne pouvait accepter cela. Il répondit qu'il était un terrien, qu'il avait toujours poussé ses cascades, ses vagues, ses courants dans le monde solide, que c'était là sa vie, et qu'il lui était inconcevable de ne plus suivre sa route vers des horizons sans cesse renouvelés. Alors la voix lui dit (ce n'était qu'un murmure) : « La vie est faite de métamorphoses. Le vent t'emportera au-delà du désert. Il te laissera retomber en pluie, et tu redeviendras rivière ». Il eut peur tout à coup. Il cria : « Mais moi je veux rester le fleuve que je suis ! » « Tu ne peux, dit la voix des sables. Et si tu parles ainsi, c'est que tu ignores ta véritable nature. Le fleuve que tu es n'est qu'un corps passager. Sache que ton être fut déjà maintes fois emporté par le vent, vécut dans des nuages et retrouva la terre pour à nouveau courir, ruisseler, gambader >•• Le fleuve resta silencieux. Et comme il se taisait, un souvenir lui vint, semblable à un parfum à peine perceptible. Il pensa : « ce n'est peut-être rien qu'un rêve »
Son cœur lui dit : « Et si ce rêve était ton seul chemin de vie, désormais ? »
Henri Gougaud (extrait de Jusqu’à Tombouctou », de Michel Jaffrennou)
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