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CONTES d'Henri Gougaud Le rayon de lune
Le rayon de lune
Mackam était un jeune homme au cœur bon, à l'esprit rêveur, à la beauté simple. Il souffrait pourtant d'une blessure secrète : il voulait savoir. Savoir quoi ? Il n'aurait su le dire. Son désir était comme une soif sans nom, une soif qui n'était pas de bouche, mais de cœur. Il aimait la lune d'amitié forte et fidèle. Elle lui avait appris à dépouiller la vie de ses détails inutiles. Quand elle apparaissait, ne restait alentour que la pointe de la mosquée, l'ombre noire de la hutte, la courbe du chemin, rien d'autre que l'essentiel, et cela plaisait à Mackam.
Or, une nuit, comme il revenait, le long du fleuve, de l'école coranique, l'envie le prit de dormir dans cette tranquillité où son âme baignait. A la lisière du village il se coucha donc sous un baobab et écouta les bruits menus alentour. Le ciel était magnifique. Les étoiles brillaient comme d'innombrables espérances dans les ténèbres. Mackam en fut empli d'une telle douceur que sa gorge se noua. « Savoir la vérité du monde, se dit-il, savoir enfin ! » Il regarda la lune. Alors il sentit un rayon pâle et droit entrer en lui par la secrète blessure de son esprit. Aussitôt, le long de ce rayon fragile, il se mit à monter vers la lumière. Cela lui parut facile. La pesanteur du monde lui parut bientôt comme un vieux vêtement délaissé. Il se dit qu'il allait enfin atteindre cette science qui l'apaiserait pour toujours. Il s'éleva encore, parvint au seuil d'un vide immense et lumineux.
Alors il entendit un cri d'enfant lointain. Quelque chose en lui remua, un chagrin oublié peut-être. Le cri se fit gémissant dans la nuit. Il s'inquiéta. « Pourquoi ne donne-t-on pas d'amour à cet enfant ? », se dit-il. Il se tourna sur le côté. Il était à nouveau dans son corps, sous l'arbre. Et dans son corps il vit la cour d'une case, et dans cette cour un nourrisson qui sanglotait, les bras tendus à une mère absente. Il se dressa, le cœur battant. Il n'y avait pas d'habitation à cet endroit du village. Il murmura : Qui est cet enfant ?
- C'est toi-même, répondit une voix au-dessus de sa tête.
Il leva le front, vit un oiseau noir sur une branche du baobab. Il lui demanda :
- Si c'est moi, pourquoi ai-je crié ?
- Parce que ton esprit seul ne pouvait suffire à atteindre la vraie connaissance, lui dit l'oiseau. Il y fallait aussi ton cœur, tes souffrances, tes joies. L'enfant qui vit en toi t'a sauvé, Mackam. S'il ne t'avait pas rappelé, tu serais entré dans l'éternité sans espérance, la pire mort : celle où rien ne germe. Brûle-toi à tous les feux, autant ceux du soleil que ceux de la douleur et de l'amour. C'est ainsi que l'on entre dans le vrai savoir.
L'oiseau s'envola. Mackam s'en fut par les ruelles de son village. Près du puits, l'âne gris dormait. Sous l'arbre de la place, une chèvre livrait son flanc à ses petits. Au loin, un chien hurlait à la lune. Pour la première fois, elle parut à Mackam comme une sœur exilée, et il se sentit pris de pitié pour elle qui ne connaîtrait jamais le goût du lait et la chaleur d'un lit auprès d'un être aimé.
Henri Gougaud (extrait de Jusqu’à Tombouctou », de Michel Jaffrennou
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