-
FABLES D'ESOPE : Plus vrai que nature
Plus vrai que nature
Il était une fois un loup mécontent de son sort. Il pensait, entre autres choses, être très intelligent, et estimait qu'il consacrait trop de son précieux temps à courir de-ci de-là et à risquer sa peau juste pour se remplir la panse. Et quand sa panse était pleine, il devait passer le reste de la journée a broyer du noir dans un antre misérable ou se tapir dans l'ombre, il employa donc son esprit vif et rusé à trouver un moyen de se faciliter la vie. Il lui fallait pour cela résider plus près de son garde-manger. ll avait besoin d'un camouflage : il pouvait se déguiser en haie, en rocher... ou quelque chose d’encore plus retors. Le hasard voulut que, dès le lendemain, le loup trouvât la dépouille d'une brebis morte et, s'étant soigneusement enroulé dans sa peau, se joignît à un troupeau des sœurs de la défunte. Les moutonnières créatures ne s'aperçurent de rien. Sous le chaud soleil matinal, il écouta leurs commérages insipides. L'après-midi, il se prélassa parmi les fleurs et les papillons, et il en apprit bien plus qu'il n'en souhaitait sur l'herbe des champs. Tandis que les grillons craquetaient et que !es ombres s'allongeaient, il promena nonchalamment son regard sur son dîner qui broutait dans le pré. Le soir, il regagna la bergerie avec le troupeau repu et bêlant, ll reporta alors son attention sur son estomac gargouillant, avec la satisfaction de celui qui voit son plan réussir, et devant qui s'ouvre un avenir radieux, fait de milliers de crépuscules rosés et enchanteurs... mais également celui dont le dos gras et laineux avait attiré le regard du berger. L'homme avait lui aussi l'estomac vide, et une forte envie de mouton rôti. Le déguisement du loup était si astucieux, si efficace, si ressemblant, que le berger s’y laissa prendre jusqu’à la dernière, tendre et savoureuse bouchée.
(Moralité : qui cherche les ennuis les trouve.)
(Extrait du livre de Helen Ward « La sagesse des bêtes »)
-
Commentaires