• La prière juste

    La prière juste 

    Au temps où saint Nicolas parcourait le monde en jeune aventureux affamé de découvertes, son chemin le conduisit un jour au bord d'un vaste fleuve aux vagues éblouies par le soleil de midi. Là était un passeur qui sonnait de la trompe à la proue de sa barque. Tandis que Nicolas, parmi les voyageurs, se hâtait vers le ponton de planches, il aperçut à l'écart de l'embarcadère un pauvre diable en guenilles agenouillé devant une hutte de branches. Le visage de cet homme et ses mains offertes à la brise émurent son cœur simple. Il le désigna aux gens qui l'entouraient, demanda si quelqu'un le connaissait. On lui répondit : 

    — C'est un sage infini, ses prières font des miracles. Va donc le saluer. Chance pour toi s'il te bénit ! 

    — Vraiment ? dit Nicolas. 

    Ses yeux s'illuminèrent. Il avait soif d'apprendre, et d'aimer plus encore. Il abandonna son sac parmi ses compagnons, s'approcha du bonhomme qui semblait converser amicalement avec la lumière du jour. Il perçut bientôt les paroles de sa prière. Alors il s'arrêta au bord de l'eau qui baignait les galets, et restant là planté, grandement étonné : « Hélas, se dit-il, ce miséreux que l'on prend pour un saint n'est en vérité qu'un fou de plus sur cette terre ! » II s'accroupit à son côté. L'autre ne parut même pas s'apercevoir de sa présence. Sans cesse il répétait, la figure contente comme s'il voyait Dieu devant lui dans l'air bleu : 

    — Seigneur, ne m'aide pas ! Ne m'aide pas, Seigneur ! 

    — Que fais-tu donc, l'ami ? demanda Nicolas. 

    L'homme tourna vers lui la tête et répondit dans un grand sourire édenté : 

    — Ne vois-tu pas? Je prie Dieu. 

    — Pauvre homme, murmura Nicolas, la mine apitoyée, ce n'est pas ainsi que l'on prie. Et l'index dressé droit : 

    — Seigneur, assiste-moi, donne-moi aujourd'hui le pain qu'il faut pour vivre. Voilà les termes justes. L'homme le regarda, surpris, reconnaissant. 

    — Je sais si peu, ami ! Oh, merci de m'instruire. « Seigneur, assiste-moi », c'est là ce qu'il faut dire? Sois béni, je ne l'oublierai pas. 

    Ils s'embrassèrent, contents l'un de l'autre, puis Nicolas courut à la barque où le passeur déjà levait la passerelle. Vers le milieu du fleuve le voyageur se retourna pour un dernier regard à son frère d'un instant. Il le vit qui gesticulait sur la berge et criait des paroles trop éraillées et lointaines pour qu'il puisse les comprendre. Il fit un geste d'impuissance, et aussitôt resta la bouche bée, autant époustouflé que si le ciel venait devant lui de se fendre. 

    Il se frotta les yeux, les rouvrit et vit en vérité ce qu'il ne pouvait croire. L'homme en guenilles s'avançait sur l'eau claire, trottant comme sur un chemin terrestre. Son pied aérien effleurait à peine la crête des vagues. Il eut tôt fait de rattraper le bateau qui allait lourdement au travers du courant. 

    — Hé, l'ami, cria-t-il, comment m'as-tu dit qu'il fallait prier Notre Père? Je ne m'en souviens plus, pauvre sot que je suis ! 

    Dans la lumière de miracle qui lui venait dessus, « mon Dieu, pensa Nicolas, tremblant comme la voile au vent, un homme capable de cheminer ainsi sur l'eau sans se mouiller un poil est assurément plus proche de Toi que je ne le serai jamais ». Il répondit : 

    — Ne change rien, mon frère ! « Seigneur, ne m'aide pas », c'est la prière juste ! La paix sur toi !. L’autre lui fit  un signe d’amitié, s’assit parmi les brins de soleil qui illuminaient le fleuve et s’en revint, ramant de ses deux mains ouvertes, vers la rive tranquille en chantant sa prière au ciel, à pleine voix. 

     « L’arbre d’amour et de sagesse »


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