• Souvenirs ! Printemps !

     

    Elle courait dans la rosée,

    Sans bruit, de peur de m’éveiller ;

    Moi, je n’ouvrais pas ma croisée,

    De peur de la faire envoler.

     

    Ses frères riaient... - Aube pure !

    Tout chantait sous ses frais berceaux,

    Ma famille avec la nature,

    Mes enfants avec les oiseaux ! -

     

    Je toussais, on devenait brave,

    Elle montait à petits pas,

    Et me disait d’un air très grave :

    «J’ai laissé les enfants en bas. »

     

    Qu’elle fût bien ou mal coiffée,

    Que mon cœur fût triste ou joyeux,

    Je l’admirais. C’était ma fée,

    Et le doux astre de mes yeux !

     

    Nous jouions toute la journée.

    O jeux charmants ! chers entretiens !

    Le soir, comme elle était l’aînée,

    Elle me disait : «- Père, viens !

     

    »Nous allons t’apporter ta chaise,

    » Conte-nous une histoire, dis ! -»

    Et je voyais rayonner d’aise

    Tous ces regards du paradis.

     

    Alors, prodiguant les carnages,

    J’inventais un conte profond

    Dont je trouvais les personnages

    Parmi les ombres du plafond.

     

    Toujours, ces quatre douces têtes

    Riaient, comme à cet âge on rit,

    De voir d’affreux géants très bêtes

    Vaincus par des nains pleins d’esprit.

     

    Victor Hugo contemplation 

    Photo Renal


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  • Mes adieux à l’enfance

    Qu’avec douceur je me rappelle

    Ces jours où, tournant dans nos mains

    Nos mouchoirs, tordus avec zèle

    Et durcis exprès pour nos reins,

    Nous affrontions gaîment la grêle

    Des fruits, pris aux pommiers voisins !

    Ces jours où d’une antique échelle

    Chargeant les appuis incertains,

    Plus fiers que des soldats Romains,

    Nous assiégions la citadelle

    D’un ancien chenil à Lapins !

     

    Victor Hugo (extrait)

    Pyrénées Orientales, Aout 2016 Calvaire du Font Romieu


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  • J’ai cueilli cette fleur…

     

    J’ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline.

    Dans l’âpre escarpement qui sur le flot s’incline,

    Que l’aigle connaît seul et peut seul approcher,

    Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.

    J’ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée

     

    Elle est pâle, et n’a pas de corolle embaumée,

    Sa racine n’a pris sur la crête des monts

    Que l’amène senteur des glauques goémons ;

    Moi, j’ai dit : Pauvre fleur, du haut de cette cime,

    Tu devais t’en aller dans cet immense abîme

    Où l’algue et le nuage et les voiles s’en vont.

    Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.

    Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde.

    Le ciel, qui te créa pour t’effeuiller dans l’ombre,

    Te fit pour l’Océan, je te donne à l’amour

     

    Victor Hugo (extrait)

     

    J’ai cueilli cette fleur…


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  • Attente

     

    Monte, écureuil, monte au grand chêne,

    Sur la branche des cieux prochaine,

    Qui plie et tremble comme un jonc.

    Cigogne, aux vieilles tours fidèle,

    Oh ! vole et monte à tire-d'aile

    De l'église à la citadelle,

    Du haut clocher au grand donjon.

     

    Vieux aigle, monte de ton aire

    A la montagne centenaire

    Que blanchit l'hiver éternel.

    Et toi qu'en ta couche inquiète

    Jamais l'aube ne vit muette,

    Monte, monte, vive alouette,

    Vive alouette, monte au ciel !

     

    Et maintenant, du haut de l'arbre,

    Des flèches de la tour de marbre,

    Du grand mont, du ciel enflammé,

    A l'horizon, parmi la brume,

    Voyez-vous flotter une plume

    Et courir un cheval qui fume,

    Et revenir mon bien-aimé ?

     

    Victor Hugo, Les Orientales

    Attente


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  • Après l’hiver

     

    N’attendez pas de moi que je vais vous donner
    Des raisons contre Dieu que je vois rayonner ;
    La nuit meurt, l’hiver fuit ; maintenant la lumière,
    Dans les champs, dans les bois, est partout la première.
    Je suis par le printemps vaguement attendri.
    Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri ;
    Je sens devant l’enfance et devant le zéphyre
    Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire ;
    Mai complète ma joie et s’ajoute à mes pleurs.
    Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs.
    Accourez, la forêt chante, l’azur se dore,
    Vous n’avez pas le droit d’être absents de l’aurore.
    Je suis un vieux songeur et j’ai besoin de vous,
    Venez, je veux aimer, être juste, être doux,
    Croire, remercier confusément les choses,
    Vivre sans reprocher les épines aux roses,
    Être enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu.

     

    Ô printemps ! bois sacrés ! ciel profondément bleu !
    On sent un souffle d’air vivant qui vous pénètre,
    Et l’ouverture au loin d’une blanche fenêtre ;
    On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux ;
    On a le doux bonheur d’être avec les oiseaux
    Et de voir, sous l’abri des branches printanières,
    Ces messieurs faire avec ces dames des manières.

     

    Victor Hugo


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  • Il faut que le poète

     

    Il faut que le poète, épris d'ombre et d'azur,

    Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,

    Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,

    Chanteur mystérieux qu'en tressaillant écoutent

    Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,

    Devienne formidable à de certains moments.

    Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre,

    Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,

    Où l'âme à chaque pas trouve à faire son miel,

    Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,

    Au milieu de cette humble et haute poésie,

    Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie,

    Où l'on entend couler les sources et les pleurs,

    Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,

    Volent chantant l'amour, l'espérance et la joie,

    Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie

    Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,

    Un vers fauve sortir de l'ombre en rugissant !

    Il faut que le poète aux semences fécondes

    Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,

    Pleines de chants, amour du vent et du rayon,

    Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion.

     

    Paris, mai 1842.

    Victor Hugo.

    http://www.poesie-francaise.fr

     

    IMG_20151107_125603

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  • La nature est pleine d’amour

     

    La nature est pleine d'amour,

    Jeanne, autour de nos humbles joies ;

    Et les fleurs semblent tour à tour

    Se dresser pour que tu les voies.

     

    Vive Angélique ! à bas Orgon !

    L'hiver, qu'insultent nos huées,

    Recule, et son profil bougon

    Va s'effaçant dans les nuées.

     

    La sérénité de nos coeurs,

    Où chantent les bonheurs sans nombre,

    Complète, en ces doux mois vainqueurs,

    L'évanouissement de l'ombre.

     

    Juin couvre de fleurs les sommets,

    Et dit partout les mêmes choses ;

    Mais est-ce qu'on se plaint jamais

    De la prolixité des roses ?

     

    L'hirondelle, sur ton front pur,

    Vient si près de tes yeux fidèles

    Qu'on pourrait compter dans l'azur

    Toutes les plumes de ses ailes.

     

    Ta grâce est un rayon charmant ;

    Ta jeunesse, enfantine encore,

    Éclaire le bleu firmament,

    Et renvoie au ciel de l'aurore.

     

    De sa ressemblance avec toi

    Le lys pur sourit dans sa gloire ;

    Ton âme est une urne de foi

    Où la colombe voudrait boire.

    Victor Hugo.

     

    http://www.poesie-francaise.fr

     

    L'Alpe-d'Huez Epilobe rose(23)

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  • Je ne demande pas autre chose aux forêts

     

    Je ne demande pas autre chose aux forêts

    Que de faire silence autour des antres frais

    Et de ne pas troubler la chanson des fauvettes.

    Je veux entendre aller et venir les navettes

    De Pan, noir tisserand que nous entrevoyons

    Et qui file, en tordant l'eau, le vent, les rayons,

    Ce grand réseau, la vie, immense et sombre toile

    Où brille et tremble en bas la fleur, en haut l'étoile.

     

    Victor Hugo.

    http://www.poesie-francaise.fr

    Foret des  Dioux(1)

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  • Mes poèmes

     

    Mes poèmes ! Soyez des fleuves !
    Allez en vous élargissant !
    Désaltérez dans les épreuves
    Les cœurs saignants, les âmes veuves,
    Celui qui monte ou qui descend.

    Que l'aigle plonge, loin des fanges,
    Son bec de lumière en vos eaux !
    Et dans vos murmures étranges
    Mêlez l'hymne de tous les anges
    Aux chansons de tous les oiseaux !

    Victor Hugo

    Cascades Confolens 1133 m (8)

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  • La pauvre fleur

    La pauvre fleur disait au papillon céleste
    — Ne fuis pas!
    Vois comme nos destins sont différents. Je reste,
    Tu t'en vas !

    Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
    Et loin d'eux,
    Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes
    Fleurs tous deux !

    Mais, hélas ! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne.
    Sort cruel !
    Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine
    Dans le ciel !

    Mais non, tu vas trop loin ! — Parmi des fleurs sans nombre
    Vous fuyez,
    Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre
    À mes pieds !

    Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t'en vas encore
    Luire ailleurs.
    Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
    Toute en pleurs !

    Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles,
    Ô mon roi,
    Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes
    Comme à toi !

     

    Victor Hugo

    L'Alpe-d'Huez (21)

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