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    Elle avait pris ce pli ...

    Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
    De venir dans ma chambre un peu chaque matin;
    Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère;
    Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit père ;
    Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
    Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,
    Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
    Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
    Mon œuvre interrompue, et, tout en écrivant,
    Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
    Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,
    Et mainte page blanche entre ses mains froissée
    Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.
    Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,
    Et c'était un esprit avant d'être une femme.
    Son regard reflétait la clarté de son âme.
    Elle me consultait sur tout à tout moment.
    Oh! que de soirs d'hiver radieux et charmants
    Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,
    Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère
    Tout près, quelques amis causant au coin du feu !
    J'appelais cette vie être content de peu !
    Et dire qu'elle est morte! Hélas! que Dieu m'assiste !
    Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ;
    J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux
    Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

     

     

     


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    Ecrit après la visite d'un bagne

    Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.
    Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
    Ne sont jamais allés à l'école une fois,
    Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.
    C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.
    L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.
    Où rampe la raison, l'honnêteté périt.

    Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit,
    A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
    Les ailes des esprits dans les pages des livres.
    Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
    Planer là-haut où l'âme en liberté se meut.
    L'école est sanctuaire autant que la chapelle.
    L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle
    Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur
    S'éclaire doucement à cette humble lueur.
    Donc au petit enfant donnez le petit livre.
    Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.

    La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat.
    Faute d'enseignement, on jette dans l'état
    Des hommes animaux, têtes inachevées,
    Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
    Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
    Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
    Allumons les esprits, c'est notre loi première,
    Et du suif le plus vil faisons une lumière.
    L'intelligence veut être ouverte ici-bas ;
    Le germe a droit d'éclore ; et qui ne pense pas
    Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
    Songeons-y bien, l'école en or change le cuivre,
    Tandis que l'ignorance en plomb transforme l'or.

    Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
    Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
    Je dis qu'ils ont le droit, du fond de leur misère,
    De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
    Et de vous demander compte de leur esprit ;
    Je dis qu'ils étaient l'homme et qu'on en fit la brute ;
    Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
    Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
    Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
    Ont pour point de départ ce qui n'est pas leur faute ;
    Pouvaient-ils s'éclairer du flambeau qu'on leur ôte ?
    Ils sont les malheureux et non les ennemis.
    Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
    On a de la pensée éteint en eux la flamme :

    Et la société leur a volé leur âme.

     

     


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    Dieu fait les questions pour que l'enfant réponde

    " Les deux bêtes les plus gracieuses du monde,
    Le chat et la souris, se haïssent. Pourquoi ?
    Explique-moi cela, Jeanne. " Non sans effroi
    Devant l'énormité de l'ombre et du mystère,
    Jeanne se mit à rire. " Eh bien ? - Petit grand-père,
    je ne sais pas. Jouons. " Et Jeanne repartit :
    " Vois-tu, le chat c'est gros, la souris c'est petit.
    - Eh bien ? " Et Jeanne alors, en se grattant la tête,
    Reprit : " Si la souris était la grosse bête,
    À moins que le bon Dieu là-haut ne se fâchât,
    Ce serait la souris qui mangerait le chat. "

     


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  • Demain, dès l'aube...

    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
    J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.


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    Dans l'alcôve sombre


    Dans l'alcôve sombre,
    Près d'un humble autel,
    L'enfant dort à l'ombre
    Du lit maternel.
    Tandis qu'il repose,
    Sa paupière rose,
    Pour la terre close,
    S'ouvre pour le ciel.

    Il fait bien des rêves.
    Il voit par moments
    Le sable des grèves
    Plein de diamants ;
    Des soleils de flammes,
    Et de belles dames
    Qui portent des âmes
    Dans leurs bras charmants.

    Songe qui l'enchante !
    Il voit des ruisseaux.
    Une voix qui chante
    Sort du fond des eaux.
    Ses sœurs sont plus belles.
    Son père est près d'elles.
    Sa mère a des ailes
    Comme les oiseaux.

    IL voit mille choses
    Plus belles encor ;
    Des lys et des roses
    Plein le corridor ;
    Des lacs de délice
    Où le poisson glisse,
    Où l'onde se plisse
    A des roseaux d'or !

    Enfant, rêve encore !
    Dors, ô mes amours !
    Ta jeune âme ignore
    Où s'en vont tes jours.
    Comme une algue morte
    Tu vas, que t'importe !
    Le courant t'emporte,
    Mais tu dors toujours !

    Sans soin, sans étude,
    Tu dors en chemin ;
    Et l'inquiétude,
    A la froide main,
    De son ongle aride
    Sur ton front candide
    Qui n'a point de ride,
    N'écrit pas : Demain !

    Il dort, innocence !
    Les anges sereins
    Qui savent d'avance
    Le sort des humains,
    Le voyant sans armes,
    Sans peur, sans alarmes,
    Baisent avec larmes
    Ses petites mains.

    Leurs lèvres effleurent
    Ses lèvres de miel.
    L'enfant voit qu'ils pleurent
    Et dit : Gabriel !
    Mais l'ange le touche,
    Et, berçant sa couche,
    Un doigt sur sa bouche,
    Lève l'autre au ciel !

    Cependant sa mère,
    Prompte à le bercer,
    Croit qu'une chimère
    Le vient oppresser.
    Fière, elle l'admire,
    L'entend qui soupire,
    Et le fait sourire
    Avec un baiser.

     

     


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    Commencement d'une illusion

    Il pleut ; la brume est épaissie ;
    Voici novembre et ses rougeurs
    Et l'hiver, effroyable scie
    Que Dieu nous fait, à nous songeurs.

    L'abeille errait, l'aube était large,
    L'oiseau jetait de petits cris,
    Les moucherons sonnaient la charge
    A l'assaut des rosiers fleuris,

    C'était charmant. Adieu ces fêtes,
    Adieu la joie, adieu l'été,
    Adieu le tumulte des têtes
    Dans le rire et dans la clarté !

    Adieu les bois où le vent lutte,
    Où Jean, dénicheur de moineaux,
    Jouait aussi bien de la flûte
    Qu'un grec de l'île de Tinos !

    Il faut rentrer dans la grand’ ville
    Qu'Alceste laissait à Henri,
    Où la foule encor serait vile
    Si Voltaire n'avait pas ri.

    Noir Paris ! Tas de pierre morne
    Qui, sans Molière et Rabelais,
    Ne serait encor qu'une borne
    Portant la chaîne des palais !

    Il faut rentrer au labyrinthe
    Des pas, des carrefours, des mœurs,
    Où l'on sent une sombre crainte
    Dans l'immensité des rumeurs.

    Je regarderai ma voisine,
    Puisque je n'ai plus d'autre fleur,
    Sa vitre vague où se dessine
    Son profil, divin de pâleur,

    Son réchaud où s'enfle la crème,
    Sa voix qui dit encor maman ;
    Gare ! C’est le seuil d'un poème,
    C'est presque le bord d'un roman.

    Ma voisine est une ouvrière
    Au front de neige, aux dents d'émail,
    Qu'on voit tous les soirs en prière
    Et tous les matins au travail.

    Cet ange ignore que j'existe
    Et, laissant errer son œil noir,
    Sans le savoir, me rend très triste
    Et très joyeux sans le vouloir.

    Elle est propre, douce, fidèle,
    Et tient de Dieu, qui la bénit,
    Des simplicités d'hirondelle
    Qui ne sait que bâtir


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